JUBILÉ DU CENTENAIRE DE LA VIE CONSACRÉE AU RWANDA
LES PERSONNES CONSACRÉES : DON DE DIEU ET TÉMOINS
D’UNE ESPÉRANCE DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI
INTRODUCTION
Chers frères et soeurs dans le Christ,
1. En 2017, il y a deux ans, nous avons eu la joie de célébrer le Jubilé centenaire du sacerdoce au Rwanda. Après avoir clôturé l’année spéciale de la réconciliation en 2018, cette année 2019 nous donne également la grâce de célébrer le Jubilé de 100 ans de la Vie Consacrée au Rwanda. L’année jubilaire s’ouvre le 02 février 2019 au Sanctuaire Marial de Kibeho et sera clôturée au même lieu, le 25 mars 2020 en la fête de l’Annonciation du Seigneur. Ce Jubilé est une occasion d’action de grâce pour l’Église au Rwanda qui a reçu le « don de Dieu le Père à son Église par l’Esprit » à travers les Soeurs BENEBIKIRA. C’est également pour toutes les personnes consacrées oeuvrant au Rwanda, un nouvel appel à la conversion et au renouvellement de leur consécration à Dieu. Pour cela, nous vous invitons, chers frères et soeurs, à célébrer dignement ce Jubilé dans tous les diocèses du pays.
2. Dans la première partie de cette lettre, nous vous parlerons très brièvement de ce qu’est la vie consacrée en général, de sa mission dans l’Église et dans le monde. Dans la seconde partie, nous ferons un bref aperçu historique de la Vie Consacrée au Rwanda, ses diaconies, ses joies et peines, sans oublier ses défis et ses espoirs dans notre société actuelle. La troisième partie sera consacrée au Jubilé de la Vie Consacrée au Rwanda comme un moment de conversion et de renouvellement. Nous ne manquerons pas de donner, dans cette partie, les indications pratiques pour la bonne marche des célébrations de l’Année Jubilaire.
PREMIÈRE PARTIE
LA VIE CONSACRÉE : UN DON DE DIEU A L’ÉGLISE PAR L’ESPRIT
3. Comme l’a précisé le Pape Jean-Paul II, il y a toujours eu au cours des siècles, « des hommes et des femmes qui, dociles à l’appel du Père et à la motion de l’Esprit, ont choisi la voie d’une sequela Christi particulière, pour se donner au Seigneur avec un coeur « sans partage (cf. 1 Co 7,34). Eux aussi, ils ont tout quitté, comme les Apôtres, pour demeurer avec lui et se mettre, comme lui, au service de Dieu et de leurs frères » (VC1). Appréciant leur mission et témoignage, l’Église considère leur forme de vie, autrement dit la « Vie Consacrée », non comme une initiative humaine, si géniale soit-elle, mais comme « un don de Dieu le Père à son Église par l’Esprit » (VC, 1).
4. L’objectif principal de ceux qui sont appelés à la vie consacrée est de suivre le Christ au plus près par la profession publique des conseils évangéliques (ou d’autres engagements sacrés assimilés aux voeux par leur nature même) de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, avec l’engagement d’écarter tous les obstacles susceptibles de s’opposer à la ferveur de la charité et à la perfection du culte divin. En effet, ils se livrent totalement à Dieu, aimé par-dessus tout, pour être ordonné au service du Seigneur et à son honneur, à un titre nouveau et particulier. C’est cette donation qui les unit à l’Église et à son mystère de manière spéciale, les poussant à agir avec un dévouement total pour le bien de tout le Corps mystique ou ecclésial (cf. LG, 44, Mutuae Relationes, 10).
5. Les personnes consacrées sont bien conscientes de leur mission de participer, par leur vie, à la nature « sacramentelle » du Peuple de Dieu en cherchant, par-dessus tout, à offrir au monde un témoignage visible de l’insondable mystère du Christ en tant qu’elles le représentent soit dans sa contemplation sur la montagne, soit dans son annonce du Royaume de Dieu aux foules, soit encore quand il guérit les malades et les infirmes et convertit les pécheurs à une vie féconde, quand il bénit les enfants et répand sur tous ses bienfaits, accomplissant en tout cela dans l’obéissance, la volonté du Père qui l’a envoyé (LG, 46). Par leur vie, elles rappellent au peuple de Dieu que leur cité permanente n’est pas d’ici-bas mais qu’elles doivent se mettre continuellement en quête de la cité future.
6. Une telle mission est sans doute très difficile. D’où les échecs réels ou apparents qui, à leurs tours, créent des doutes dans les coeurs simples. Mais les personnes consacrées font leur possible pour que les difficultés qu’elles rencontrent actuellement dans plusieurs régions du monde ne parviennent pas à amener à « mettre en doute la profession des conseils évangéliques qui est une partie intégrante de la vie de l’Église, à laquelle elles donnent un élan précieux pour une cohérence évangélique toujours plus grande » (VC, 3).
7. La mission prophétique des religieux va jusqu’au martyre. En effet, « en ce siècle, comme à d’autres époques de l’histoire, des hommes et des femmes consacrés ont rendu témoignage au Christ Seigneur par le don de leur vie. Ils sont des milliers, ceux qui, contraints à se réfugier dans les catacombes à cause de la persécution de régimes totalitaires ou de groupes violents, entravés dans leur activité missionnaire, dans l’action en faveur des pauvres, dans l’assistance aux malades et aux marginaux, ont vécu et vivent leur consécration au prix des souffrances prolongées et héroïques, et souvent en versant leur propre sang, étant ainsi pleinement configurés au Seigneur crucifié (VC, 86). Cette mission est d’une très grande importance pour que la Vie Consacrée retrouve sa signification dans le monde d’aujourd’hui.
DEUXIÈME PARTIE
BREF APERÇU HISTORIQUE DE LA VIE CONSACRÉE AU RWANDA
8. La Vie Consacrée étant un don de Dieu le Père à son Église universelle, elle a été et reste toujours un don particulier à l’Église au Rwanda. En effet, ce sont les hommes et les femmes consacrés, qui ont implanté l’Église dans ce pays voilà bientôt 120 ans. L’histoire retiendra que le témoignage d’un don total à Dieu dans la Vie Consacrée a commencé avec l’arrivée des missionnaires (Mgr Jean-Joseph Hirth, les Pères Brard et Barthélemy et le Frère Anselme) à la Cour du Roi Musinga le 02 février 1900. Ils appartenaient tous à la Société des missionnaires d’Afrique, fondée par le Cardinal Lavigerie. Avec l’accord du Roi, ils fondèrent la paroisse de Save le 08 février 1900. Les Soeurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique (Soeurs Blanches), également fondées par le Cardinal Lavigerie, arriveront au Rwanda le 13 mars 1909.
9. S’il est vrai que le témoignage d’un don total à Dieu dans la Vie Consacrée au Rwanda commence avec les débuts de l’Église Catholique dans ce pays, il est aussi vrai que son enracinement, à proprement parler, sur le sol rwandais commence avec la consécration de la première religieuse autochtone. Tout commence en 1912 quand Mgr Jean-Joseph Hirth, qui venait d’être nommé à la tête du Vicariat apostolique du Kivu et de s’installer à Nyundo, demanda aux Soeurs Blanches de ne pas se contenter seulement d’initier les jeunes filles à l’enseignement mais de leur parler aussi de la vie religieuse, afin que celles qui s’y intéressent puissent se consacrer à Dieu. Il avait à coeur de préparer les jeunes gens et jeunes filles Africaines à l’évangélisation de leurs compatriotes. Il était convaincu « que le clergé indigène et la présence de religieux et religieuses du pays était une condition indispensable pour l’incarnation de l’Évangile dans ce milieu. Ces religieux autochtones, disait-il, seront d’autant plus efficaces à l’extension du christianisme qu’ils connaissent la langue et la culture ». Effectivement, il avait ouvert à Bukumbi, en 1903, un petit Séminaire qu’il avait ensuite transféré à Rubya dans la région d’Ihangiro en Tanzanie. Une quinzaine de jeunes Rwandais y était déjà aux études.
10. La Soeur Ignace de Loyola prit à coeur la demande. Elle parla de la vocation religieuse aux jeunes Rwandaises qu’elle avait au catéchisme ; elle accueillit à bras ouverts celles qui répondirent à cet appel et les aida de son mieux à faire face aux résistances violentes de leurs familles qui ne voulaient ni renoncer à la dot, ni surtout voir leurs enfants s’attirer la malédiction de la stérilité. Mais ayant été appelées à quitter Nyundo pour fonder une autre communauté de Soeurs Blanches à Rwaza, ces filles se découragèrent et abandonnèrent leur chemin. Soeur Ignace, elle, ne lâcha pas le projet de Mgr Hirth. Et, chose étonnante, lorsqu’elle arriva à Rwaza (Ruhengeri) elle ne tarda pas à voir arriver, de tous les coins du pays où se trouvaient des missions, de jeunes Rwandaises qui voulaient consacrer leur vie à Dieu.
11. Bien que pour beaucoup de Missionnaires l’idée de vocation religieuse en Afrique et en l’occurrence au Rwanda n’était pas évidente, il y avait quand même dans ces missions des Pères Blancs et des Soeurs Blanches qui y sensibilisaient les jeunes.
12. Le 2 février 1914, la Soeur Ignace commença le Postulat à Rwaza, puis après deux années, le 8 Décembre 1916, 7 Postulantes commencèrent le Noviciat. Elles reçurent de nouveaux noms, signe d’appartenance à leur nouvelle famille et elles y ajoutèrent le nom de Marie signe de consécration à la Vierge Marie, leur Mère ; ainsi se perpétua la coutume dans la nouvelle famille religieuse. Deux ans et 4 mois après, le 25 Mars 1919, Fête de l’Annonciation du Seigneur, la toute première fille Rwandaise, Mariya Yohana NYIRABAYOVU de Kabgayi, fut la première à faire profession religieuse : la Congrégation était née. C’est à ce moment-là qu’elle reçut du Père Léon-Paul Classe, alors Vicaire Général de Mgr Hirth, le nom de BENEBIKIRA (Filles de la Vierge) et comme Patronne, l’Immaculée Conception. Le nom des Benebikira « signifie qu’elles désirent aimer et imiter la Vierge Immaculée dans sa foi et son amour pour Dieu. Elle est leur Mère et leur Modèle ».
13. Entre temps, Mgr Hirth avait « tenté », en 1912, d’initier une fondation masculine de frères autochtones. Il commença avec quatre candidats dont un seul persévéra. Malheureusement, il mourut très tôt en mission à Murunda en 1926. Il y aura un deuxième essai de fondation en 1929 initié, cette fois-ci, par Mgr Léon-Paul Classe. Il ne s’agira plus de former des « vicaires » en paroisses, mais plutôt de fonder une congrégation religieuse autonome, Bayozefiti ou Joséphites, avec son propre gouvernement. Le postulat de cette nouvelle congrégation religieuse sera ouvert officiellement le 03 octobre 1929 à Kabgayi. Par la suite, de nombreuses congrégations surtout d’origines européennes viendront en mission au Rwanda. D’autres continueront à trouver naissance sur le sol rwandais. Aujourd’hui, l’Église au Rwanda compte une centaine de Congrégations reconnues et réparties dans tout le pays en y oeuvrant officiellement.
TROISIÈME PARTIE
LES PEINES ET LES JOIES DE LA VIE CONSACRÉE AU RWANDA
14. Comme nous l’avons écrit dans notre lettre à l’occasion de l’année de la réconciliation, « au vingtième siècle, l’histoire de l’humanité et de notre pays en particulier, a été marquée par la dégradation de l’amour et par la prolifération de l’injustice fondée sur la discrimination, l’oppression, les massacres, les guerres, l’exil, le piétinement des droits humains et les violences de tous genres jusqu’au Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, crime inexprimable qu’ait connu le monde. Malheureusement un grand nombre de chrétiens, y compris quelques personnes consacrées, « ont trempé dans ce crime indicible, et d’autres ont fait la sourde oreille aux cris de secours des victimes et n’ont rien fait pour lutter contre cette injustice intolérable. La vie humaine a été fortement dévalorisée, et l’acte de tuer était considéré comme une pratique ordinaire ». Ce fut une grande peine pour l’Église au Rwanda en général et celle de la Vie Consacrée au Rwanda en particulier. D’autres souffrances relatives aux diverses infidélités qui touchent les fondamentaux de la Vie Consacrée ont rendu celle-ci méprisable aux yeux de nos contemporains.
15. Mis à part les peines mentionnées ainsi que les opinions négativistes de ceux et celles qui veulent décourager les consacrés, on n’hésitera pas à affirmer que la Vie Consacrée au Rwanda, malgré les défis qu’elle a toujours affrontés et qu’elle affronte aujourd’hui, a vraiment joué son rôle de mémoire vivante du mode d’existence et d’action de Jésus comme Verbe incarné par rapport à son Père et à ses frères. Elle a été une lampe allumée dans les ténèbres ; elle a marqué notre histoire à travers ses diverses diaconies de Foi, d’Espérance et de Charité. On ne peut, oublier le nombre important de religieux et religieuses qui ont risqué leur vie pour sauver la vie des autres pendant le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. Nous pensons spécialement à Mlle Félicité NIYITEGEKA, de Nyundo, Mlle Dorothée MUKANDANGA à Kabgayi, et tant d’autres. Il y en a qui avaient la possibilité de fuir et de quitter le Rwanda, mais qui ont témoigné de l’amour du bon pasteur qui n’abandonne jamais ses brebis. C’est le cas de l’Abbé Pierre Célestin NIWENSHUTI, fondateur de la Congrégation des Soeurs Missionnaires de la Fraternité du Christ « ABARANGARUKUNDO », qui disait : « Et si jamais je prenais la fuite, je quitte le pays, et si j’arrive à survivre, et que ces filles meurent, qu’est-ce-que je dirai à Dieu ? ». Il est resté dans le pays et y a été tué.
QUATRIÈME PARTIE
ACTION DE GRÂCE ET INDICATIONS PRATIQUES POUR LA BONNE MARCHE DES CÉLÉBRATIONS DE L’ANNÉE JUBILAIRE
16. Nous rendons grâce à Dieu pour ces 100 ans de Vie Consacrée au Rwanda. Nous remercions beaucoup tous nos aînés dans la foi, qui nous ont tracé le chemin à la suite du Christ et ceux qui ont témoigné de cet amour jusqu’à perdre leur vie. Même si nous célébrons les 100 ans de la vie consacrée, le chemin est encore long. Nous sommes appelés à être toujours plus des témoins visibles et vivant de l’amour du Christ qui nous appelle à être miséricordieux comme notre Père Céleste.
17. Tout religieux doit témoigner du primat de Dieu et consacrer chaque jour un temps suffisamment long à se tenir devant le Seigneur, pour lui dire son amour et surtout se laisser aimer par Lui. Apprenons à vivre comme frères et soeurs. N’oublions jamais ces paroles de l’Évangile qui prophétisaient au sujet de Jésus et de ses témoins : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 14-19). Cette prophétie d’Isaïe qui s’est accomplie en Jésus, est aussi une mission donnée à tout chrétien lors de son Baptême. Plus particulièrement encore, une mission pour les personnes consacrées qui s’engagent à suivre le Christ toute leur vie.
18. Nous exhortons les personnes consacrées à vivre radicalement leur vocation à la suite du Christ, dans l’esprit d’un témoignage d’amour fraternel véridique dans ce monde qui a plus besoin de témoins vivants que de paroles.
19. Au cours de cette année que nous avons consacrée à la célébration du Jubilé du centenaire de la Vie Consacrée, l’Église Catholique au Rwanda s’engage à poursuivre les différentes activités qui vont solliciter encore davantage les personnes consacrées :
– Descendre dans les paroisses pour une mission paroissiale avec les laïcs
– Poser des actes de charité auprès des personnes qui ont besoin d’être aidées, particulièrement : les pauvres, les malades, les prisonniers et les réfugiés.
– Être auprès des familles pour les écouter et les accompagner en les aidant à dépasser, à surmonter et à faire faces aux difficultés qu’elles rencontrent actuellement.
– Être auprès des jeunes qui sont à la maison et à l’école pour les écouter et les accompagner vers un avenir meilleur.
– Organiser des Colloques dans tous les diocèses pour approfondir le thème de cette année jubilaire : « Consacrées, don de Dieu dans l’Église, témoins d’une espérance »
20. Chers frères et soeurs dans le Christ,
Nous dédions cette année jubilaire à la Vierge Marie, Notre Dame de Kibeho. Elle qui est notre modèle de consécration à Dieu et de réalisation de la volonté du Père, et qui nous appelle à la conversion, à la prière et à l’amour fraternel.
Que Dieu vous bénisse tous.
Fait à Kigali, le 28 janvier 2019
Vos Evêques
+ Philippe RUKAMBA,
Evêque de Butare et
Président de la Conférence Episcopale du Rwanda
+ Antoine KAMBANDA,
Archevêque de Kigali et
Administrateur Apostolique de Kibungo
+ Servilien NZAKAMWITA,
Evêque de Byumba
+ Smaragde MBONYINTEGE,
Evêque de Kabgayi
+ Vincent HAROLIMANA,
Evêque de Ruhengeri
+ Célestin HAKIZIMANA,
Evêque de Gikongoro et
Administrateur Apostolique de Cyangugu
+ Anaclet MWUMVANEZA
Evêque de Nyundo